Ce billet fait suite à l’annonce de @joris qui avait signalé l’événement ici, et auquel j’ai eu la chance de pouvoir me rendre.
Il s’articule aussi à la réflexion en cours sur la documentation commeproduction et la diffusion de connaissances dans les tiers lieux
La première rencontre « WriteTheDocs » Paris a eu lieu le 13 juin dernier dans les locaux parisiens de la société Mozilla. J’ai pu y assister avec une soixantaine de personnes, un public très attentif parmi lesquels des designers, développeurs, chercheurs, étudiants désireux de se rencontrer et d’échanger sur les problématiques liées au processus de documentation.
Les événements « Write the docs », ce sont des rencontres qui peuvent prendre la forme de conférences ou de rencontres aux objectifs et à la forme variées. (voir ici)
Initié par Bastien Guerry, Elifsu Sabuncu et Thomas Parisot, cet événement pionnier du genre avait pour ambition de permettre à des gens qui travaillent souvent seuls de se rencontrer, d’échanger et de résoudre ensemble des problèmes. Pour cette première, trois courtes conférences entrecoupées d’échanges informels ont précédé deux ateliers « accélérateur de projet » et une discussion ouverte sur l’avenir de cet événement.
Je m’étais engagée à do-cu-men-ter l’événement sur le forum, ce travail a été facilité par la prise de notes collaborative sur place et la mise à disposition des présentations par les participants, merci le pad ! Et les contributeurs des publications immédiates de leurs supports de communication. Pour un bon aperçu de ce qui s’y est dit, et en attendant de retrouver l’ensemble des présentations sur slack, sur la future chaîne «write the docs » Paris (annoncé lors de la journée), je vous invite à consulter les notes disponibles ici.
Voici donc une sélection des éléments qui ont attiré mon attention, suivi de quelques réflexions que cela a suscité chez moi.
Julien Palard pour commencer s’est attaché à présenter son projet de traduction de la documentation Python vers le français. Il présente sa méthodologie, les outils employés, les rendez-vous pour ceux qui veulent rejoindre la communauté : à Paris, un atelier de traduction par mois et un répertoire par pays sur Github. Le support de présentation est disponible ici. Et pour les sources et plus de détails, voir ici.
L’initiative de traduction de Julien Palard m’invite à traduire à mon tour les grandes lignes de la conférence de Tomomi Sasaki (toute amélioration de la traduction sera la bievenue) . Tomomi Sasaki fait partie de la communauté ResearchOps qui vise à structurer la recherche et créer une communauté mondiale. Elle est également investie dans le mouvement « Women Talk Design » https://womentalkdesign.com/ , et intervient sur la question des « design sprints ». Comment pouvons-nous apprendre ensemble et rester sain d’esprit dans l’ouragan de la collaboration ? Pour Tomomi Sasaki, la réponse est simple, c’est en documentant « pour son futur soi ». Elle illustre son parcours avec humour, à partir de trois histoires tirées de son expérience professionnelle passée en entreprise au Japon, trois moments forts de sa vie professionnelle. Sa présentation est disponible [ici]. (https://drive.google.com/file/d/1gIbUpTBluI17kc0upnNUuVvS0xLHGDha/view)
Premier Flashback en 2007, la vie après l’université. Dans les premiers temps de travail, elle a appris à répondre au téléphone, à faire du thé, à utiliser la machine à copier, à s’excuser et prendre des notes de réunion. En général, c’était la personne la moins expérimentée de l’équipe qui était chargée de prendre les notes, et quelqu’un de plus âgé vérifiait et fixait les notes. Quelqu’un d’encore plus âgé validait. C’est une boucle de validation sans fin. Quelles informations ont été partagées, quelles décisions ont été prises ?
Selon Tomomi Sasaki il existe un dicton au Japon: celui ou celle qui a la maîtrise sur les notes de réunion, a la maîtrise de la réunion. Ce qui se passait, explique-t-elle, c’est que la personne la plus âgée lisait les notes et s’appuyait sur cela pour partager « ce qui s’est passé ». Tomomi Sasaki en conclut que la personne qui prend les notes de réunion est en fait celle qui détient le pouvoir sur la réalité de cette réunion. Si vous lisez ses notes de réunion, explique-t-elle, ce que vous comprendrez c’est ce que cette personne a compris à la réunion.
Ensuite, seconde expérience, elle devient développeuse de logiciels, rédige du code, des commentaires et de la documentation. Elle donne le conseil suivant : écrivez pour votre « futur moi », quelqu’un d’autre qui a oublié et / ou n’a jamais eu connaissance de ce que vous savez.
Puis, troisième moment, elle devient cheffe de projet dans son entreprise actuelle, AQ. Elle explique qu’il existe encore l’emploi à vie au Japon, et donc que ce n’est « pas cool » de quitter son entreprise après 2, 3 ans. Si vous arrêtez, vous devez vous excuser pour avoir quitté l’entreprise. Elle reconnaît que certaines personnes faisaient plus peur que d’autres, et que lorsque l’une d’entre elles a dit : « Vous pouvez partir, mais en nous laissant une bonne documentation », elle est partie la conscience tranquille car elle l’avait déjà fait en envisageait la documentation en documentant dans cet état d’esprit.
La documentation, en substance, résume-t-elle:
- Façonne la compréhension collective de ce qui s’est passé ;
- Rend visible le fil rouge de la pensée ;
- Assure que la valeur de notre travail peut exister sans notre présence.
Elle se réjouit pour conclure que cette communauté se forme car elle pense que la documentation vaut la peine d’être faite et, bien faite.
Julie Blanc est quant à elle designeuse graphique et chercheuse. Elle prépare un doctorat en ergonomie et design au laboratoire Paragraphe (Université de Paris) et à EnsadLab–Paris. Elle travaille pour l’initiative PagedMedia. Ses travaux et ses recherches portent essentiellement sur la conception d’objets éditoriaux multisupport, multimodaux et/ou hybrides en paged.js (experte css) ; elle nous a présenté paged.js, outil qu’elle développe et qui permet de transformer une page web (un flux) en un document paginé et imprimable, en évitant les écueils habituels des solutions existantes : un outil libre, open source, standardisé et qui permet des sorties imprimées automatisées. La documentation du projet est disponible ici.
L’atelier "Accélérateur de projet"a permis ensuite à deux personnes d’exposer à la salle les difficultés auxquelles elles étaient confrontées pour mener à bien leur projet de documentation, de reformuler leur problème, de l’exposer clairement à la salle, et d’aborder de nouvelles pistes suscitées par les échanges avec le public, questions, conseils…
Le premier atelier posait le cas d’une documentation créée en interne à un service pour chercheurs, qui peine à trouver ses utilisateurs. Le second posait la question de comment documenter un produit complexe quand on a des difficultés à embarquer les autres équipes produit dans cette démarche ?
Quelles suites aura cet événement ? L’organisation de l’ événement n’est pas fixe, tout le monde est libre de proposer des sujets, des formats, des événements, c’est ouvert !
A suivre. Prochain rendez-vous prévu après l’été.
Quant à moi, sortie de cette journée, avec un peu de recul, je m’interroge… quels enseignements tirer de cette journée pour la réflexion sur les tiers lieux éducatifs ?
«Qui maîtrise la documentation maîtrise la réunion » dans le contexte décrit par Tomomi Sasaki ; la maîtrise de l’information comme enjeu de pouvoir, m’inciterait quant à moi à faire un petit pas de côté et m’emparer de la documentation dans le contexte éducatif des tiers lieux comme enjeu de pouvoir certes, mais des individus sur eux-mêmes, comme outil d’émancipation, « d’ encapacitation » des individus par leur capacité à la consulter, à en comprendre les ressorts, à y contribuer et la faire évoluer. J’y vois un intérêt pédagogique de faire réaliser dans les tiers lieux à des élèves des tutoriels, des modes d’emploi collaboratifs, des commentaires partagés sur les usages, permettent de laisser l’empreinte de la compréhension et de l’action d’un groupe d’élèves, qui servent à l’ensemble de la communauté, et qui permettent par exemple aux cohortes suivantes de continuer à utiliser les outils, à en expérimenter de nouveaux usages, avec les commentaires qui nourriront à leur tour de nouveaux usages… ou fixeront les anciens. Accepter de partager ses notes ses sources, c’est aussi accepter de partager le « pouvoir » de la source, qu’il s’agisse d’un logiciel, d’une prise de notes de réunion ou d’un processus, c’est accepter de mettre ses forces en commun et de créer ensemble quelque chose de nouveau.
Les développeurs et designers dans nos communautés trouveront de quoi se régaler dans le détail du compte-rendu des interventions de Julien Palard et Julie Blanc, et suivront à n’en pas douter avec attention les prochaines éditions de cette manifestation. La nécessité de travailler ensemble, de documenter les processus, en version utilisateur, designer et développeur… Dans nos lieux éducatifs, ces distinctions pourraient également être opératoires, pour communiquer sur un projet, pour concevoir des tutoriels, une signalétique adaptée… De la salle de classe d’école primaire à l’entreprise marchande, au secteur industriel ou à l’université, attacher une attention drastique à l’adéquation du niveau de vulgarisation de la documentation et au niveau de compréhension du public : cette attention qui lorsqu’on l’énonce semble banale mais qui en pratique n’est pas toujours simple à mettre en œuvre. Je ne sais si de penser s’adresser à son « moi du futur »
L’intervention de Julien Palard à travers la richesse du projet de traduction de la documentation Python m’a donné envie de traduire l’intervention de Tomomi Sasaki. j’espère que ces deux expériences inspireront les personnes qui ont envie de traduire sous-titrer ou traduire des textes inédits, travaux de recherche récits d’expérimentations d’une langue à l’autre,… afin de favoriser le de développement d’échanges de pratiques à l’international.